Zakari Tchagbalé

Université de Cocody, Abidjan

<ztchagbale@yahoo.fr>

 

L’accent tonal en Tem[1] : résumé

 


Le Tem manifeste en surface deux tons, un haut (H) et un bas (L). Chaque syllabe reçoit un ton et un seul et chaque mot a son schème tonal :

ma!

‘mon’/’mes’

mO!

‘souchets’

jì!∂E~

‘nom’

jì~ra!

‘noms’

Le ton H se répand sur la syllabe suivante quand celle-ci porte un ton L, mais selon deux modes : H se substitue entièrement à L quand l’unité porteuse de H est un clitique (par ex. ma!-); H se contente de déplaçer L, qui devient flottant, quand l’unité qui la porte n’est pas un clitique (par ex. mO!) :

(1)

ma!-

+

jì~ra!

=>

[ma!jì!ra!]

(2)

mO!

+

jì~ra!

=>

[mO! jì!ra@]

En (2), H de la syllabe -ra devient M ( @) sous l’influence de L précédant demeuré flottant. Les réalisations tonales de (1) et (2) se présentent de la façon suivante sur une porté mélodique :

ma!-

jì~

ra!

 

mO!

jì~

 

 

 

 

 

 

 

ra!

 

 

 

 

 

 

 

Le Tem connaît le downdrift et le downstep comme bien des langues à tons, le principe étant : HLH => HLM que L soit flottant ou non; ex. HLHLLHH se réalise, en portée musicale :

H

L

H

L

L

H

H

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tous ces jeux mélodiques bien connus dans les langues à tons ne suffit pas pour donner au Tem le statut de langue à tons. Encore faut-il que H et L servent à opposer des unités de signification de même catégorie et de même rang. Ce qui n’est pas le cas.

Quand deux unités de type cv s’opposent par les tons, elles appartiennent à deux catégories grammaticales et à deux constructions différentes. ≠E! ‘fronts’ s’oppose à ≠E~ ‘crainds!’, mais non seulement le premier est un nom et le second un verbe, en plus ≠E~  verbe est la forme radicale de l’infinitif ≠E!m~  ‘craindre’ tandis que ≠E! nom est composé du radical ≠ì et du suffixe pluriel d’un des cinq genres de la langue a!, dont la coalescence avec ì a donné E.

Quand un nom, doté d’un suffixe de classe est de type cvcv, son schème tonal soit HL soit LH, jamais HH, ni LL.

Dans une situation semblable, certains (dont T. H. Peterson 1971, à propos du mooré) prônent la théorie de polarité tonale, à savoir qu’un ton sur une syllabe produit son contraste sur la syllabe voisine. Mais il me paraît plus simple de traiter le phénomène en termes d’accent, un accent à caractère tonal du fait que sa réalisation est à dominante mélodique.

Comment l’accent est-il introduit dans le mot en Tem? Le mot (nom, infinitif ou verbe) est constitué d’un radical et d’au moins un morphème (grammatical). Le radical est neutre du point de vue de l’accent. C’est le morphème qui apporte l’accent.

Le morphème (appelons-le a) peut être dépourvu d’accent, mais le plus souvent, il est associé à un accent, exprimé en termes de H. a peut lui-même être le porteur de l’accent, mais celui-ci peut flotter autour du morphème, à gauche ou à droite de a.. Quand il flotte, l’accent peut perdre a autour duquel il flotte. Résumons ici les différentes formules d’association de a et H :

H

 

H

 

H

 

 

 

H

 

H

|

 

/

 

\

 

 

 

/

 

\

 

 

 

 

 

 

 

|

 

|

 

|

 

|

 

 

 

 

a

 

a

 

a

 

a

 

 

 

 

a!

 

!a

 

a !

 

a

 

 !.

 

.  !

Imaginons un mot où un radical a (le radical tem est uniquement de type cv) reçoit en suffixe le morphème : a.a

·      Cas où le morphème porte son accent

 

H

 

L

H

 

 

H

 

L

H

 

|

 

|

|

 

 

|

 

|

|

=>

ex.

=>

|

|

 

|

|

å

|

|

 

|

|

a

a

 

a

a

 

jìr

a

 

jìr

a

·      Cas où l’accent flotte à gauche  : a. !a

 

H

 

H

L

 

 

H

 

H

L

 

/

 

|

|

 

 

/

 

|

|

=>

ex.

=>

|

|

 

|

|

 

|

|

 

|

|

a

a

 

a

a

 

jìr

∂E

 

jìr

∂E

Le traitement de H en tant qu’accent permet d’expliquer la différence de comportement de la séquence HLH qui se réalise tantôt [HHH], tantôt [HHM]. La réalisation [HHH] est celle qui a lieu au sein d’un mot, le nouveau mot créé par l’apport d’un clitique; la réalisation [HHM], quant à elle, est celle de deux mots qui se suivent. De fait, le mot est l’unité accentuelle; il ne peut recevoir qu’un accent et un seul; quand sa construction apporte plus d’un accent, l’accent ou les accents supplémentaires sont supprimés. Pour illustrer cela avec les verbes, il faut rappeler ce qui est pris, dans la conjugaison, comme base verbale : la forme infinitive amputée du dérivatif d’infinitif. Mais, souvent, le dérivatif d’infinitif abandonne au radical une partie de lui, laquelle peut être l’accent :

 

infinitif

constitution

base verbale

 

(a)

[tE!m~]

\tE- !m\

tE

‘finirr

(b)

[se!e~]

\se- !ì\

se !/

‘fuir’

(c)

[sa~lì!ì~]

\sa.l- !ì\

sal/

‘tomber’

(d)

[sE~lì!ì~]

\sE.l- !ì\

sElì!/

‘soulever’

Si, à la base verbale on prédixe le morphème d’accompli (. -!), le morphème de l’affirmation ì- et la 3pl sujet ba-, tous des clitiques, on obtient un mot, /ba-ì- !- base verbale/, lequel ne peut admettre qu’un accent à la fois. En cas de conflit d’accents, l’accent figé dans la base verbale l’emporte :

(a)

\ba-ì-. !-tE\

[bE~E~de!]

‘ils ont fini’

(b)

\ba-ì-. !-se !/\

[be~e~ze~/]

‘ils ont fui’

(c)

\ba-ì- . !-sal/\

[ba~a~sa!la~/]

‘ils sont tombés’

(d)

\ba-ì-. !-sElì!/\

[bE~E~zE~lì!/]

‘ils ont soulevé’

Il est intéressant de noter que même non réalisé, l’accent flottant de la base verbale de (b) maintient sa présence en tant qu’accent retenu pour le mot et, de ce fait, neutralise l’accent du morphème d’accompli.

Quand la suppression de l’un des accents est impossible, deux situations se présentent :

·      le creux créé entre les deux H doit être rempli, de sorte à donner au mot un accent unique, même étalé. En revanche, quand la séquence HLH est due à deux mots qui se suivent, il ne lui est appliquée que la règle d’expansion de H à droite avec mise en flottaison de L et la règle du downdrift.

·      quand aucun des accents n’est réductible, alors la construction du mot est impossible. Par ex., un infinitif peut se construire en incluant le dérivatif accompagnatif na; mais celui-ci a la particularité de capter et de figer l’accent du dérivatif infinitival. Quand la base verbale a déjà capté et figé l’accent d’un dérivatif, elle ne peut reconstruire une forme infinitivale avec na  que si l’accent capté est flottant; en dehors de ce cas, la construction est impossible :

(a)

\tE-na- !ì\

[tE~na!a~]

‘finir avec’

(b)

\se !-na- !ì\

[se~na!a~]

‘fuir avec’

(c)

\sal-na- !ì\

[sa~la~na!a~]

‘tomber avec’

(d)

\sElì!-na- !ì\

impossible

*soulever avec

Toutefois, en l’absence du dérivatif infinitival  , l’accompagnatif na peut former une base verbale avec la base primaire ayant déjà capté et figé l’accent :

(c)

\ba-ì- !-salana!\

[ba~a~za~la~na!/]

ils sont tombés avec

(d)

\ba-ì- !-sElìna!\

[bE~E~zE~lì!na~/]

‘ils ont soulevé avec’

Le refus de deux accents au sein d’un mot permet d’expliquer le schème totalement bas de certains noms qui se construisent avec le même morphème suffixé et préfixé à la fois. Quand a!, par ex., suffixe et préfixe la même base nominale, on fait l’économie de l’accent du préfixe (secondaire) afin de sauvegarder l’unicité accentuelle. Mais, parfois il y a une sorte d’hypercorrection qui supprime l’accent du préfixe et du suffixe à la fois :

(1)

\a!-si.m-a!\

[a~z¸~ma!]

‘sang’

(2)

\a!-ci.m-a!\

[a~Ô¸~ma~]

‘fous’

 



[1] Le Tem appartient à la branche orientale du Gurunsi (Gur, Niger-Congo). Il est parlé au Togo et au Bénin par, environ 250 000 personnes. Porté par le commerce et le transport, le Tem est devenu l’une des langues véhiculaires du Togo. Il a neuf voyelles (i u ì √ e o E O a) et  quinze consonnes (b, f\v, t\d, ∂\r, s\z, c\Ô, k\g, kp\gb, m, n, ≠, N, l, j, w; la barre oblique sépare les variantes du même phonème).